Melos - Ed. Filigranes
Melos est un livre entre noirceur et espoir. L’image qui précède ces lignes devrait alerter le regardeur attentif. Sur cette carte postale ancienne, annotée par l’expéditeur, est indiqué « Lointain et triste bonjour d’Orient ». Tandis que des annotations géographiques attestent de la complexité de la région.
Cet incipit semble résumer le point de vue auquel est parvenu Guillaume Lebrun a voyagé d’Istanbul à Thessalonique en passant par la Bulgarie voisine. Ces lieux forment l’un des creusets des civilisations européennes et méditerranéennes. Mais ils sont aussi une zone où les identités, les langues, les nationalités, les religions n’ont cessé de s’opposer, de tenter de prendre l’ascendant les unes sur les autres.
L’unité de lieu, la communauté de destin se retrouvent dans les portraits de jeunes gens qu’a dressés le photographe. Impossible pour moi de déterminer si cette fille ou ce garçon sont grecs, bulgares ou turcs.
La fracture, elle, est manifeste dans les paysages comme dans les vues de détails. Elle se traduit souvent dans l’œuvre de Guillaume Lebrun par l’impossibilité de voir, qui s’oppose, bien entendu, au désir de voir. Celui du photographe mais aussi celui du regardeur. Désir que l’auteur contrecarre. Pour cela, il déploie diverses stratégies. Celle du voile d’abord. Tel ce rideau rouge qui laisse difficilement transparaître la vue depuis une chambre d’hôtel, ou cette vitre rayée qui masque la beauté de la mosquée Bleue, ou encore cette pluie qui efface les contours du Bosphore.
Autre stratégie, l’iconoclasme, particulièrement cohérent en ces lieux : portrait à la fresque aux yeux effacés, affiches politiques lacérées, stèle islamique brisée, tombe abandonnée du cimetière juif de Thessalonique, statue de Lénine abattue…
Cependant, Guillaume Lebrun parvient à renouer les fils de la communauté de destin et du conflit en mettant en relation portraits et paysages. Une belle jeune femme à la longue chevelure brune appairée à des racines noueuses qui étreignent un mur se fait Méduse. Un garçon clôt les yeux devant un étal de poissons, morts donc. Une femme les écarquille face à Adam et Ève cueillant la pomme.
Melos est le récit d’une sortie du paradis.
Rémi Coignet.